« Pas de sang sur les murs » pour remplacer Ferrand
Par Jean-Baptiste Daoulas, publié le , mis à jour à
Aucun des candidats pressentis ne fait l’unanimité pour prendre la tête du groupe LREM. Tout est fait pour éviter le clash.
« Vous, les médias, vous aimez bien quand il y a du sang sur les murs à l’intérieur des partis. Là, il n’y en a pas ! », nargue le député REM Jacques Krabal à la sortie du Centre international de congrès de Tours. Tout est fait, en tout cas, pour qu’aucune éclaboussure ne filtre à l’extérieur. La rentrée des parlementaires LREM se tient à huis clos, avec des journalistes soigneusement parqués derrière des barrières. Loin des trois bureaux de vote où deux tiers des députés macronistes ont appuyé la candidature de Richard Ferrand à la présidence de l’Assemblée nationale, ce lundi 10 septembre. Loin, surtout, des conciliabules incessants pour organiser sa succession à la tête du groupe majoritaire.
« Le président préférerait que ce soit une femme »
De l’avis général, l’opération est un « casse-tête ». Le président du groupe majoritaire est un rouage essentiel de la Ve République. Moins prestigieux que le Perchoir, mais indispensable pour tenir les troupes et faire voter les textes en temps et en heure. « S’il n’y a pas d’évidence, cela montre bien que Richard en était une ! », soupire un élu qui l’a souvent loué en public, et pas toujours épargné en privé.
Complication supplémentaire, Emmanuel Macron a été sensible au procès en phallocratie essuyé par la majorité la semaine passée. Cette fois, « le président préférerait que ce soit une femme », croit savoir un proche du chef de l’Etat.
Privés d’un successeur naturel, ou au moins adoubé par l’Elysée, les députés LREM entrent dans une zone de turbulences. « Je repère déjà une dizaine de candidats potentiels, se lamente un membre du groupe. Il faut rationaliser tout ça. »
Chapelles rivales
La campagne pour la présidence de l’Assemblée nationale fait figure de précédent malheureux. Outre les attaques personnelles de Yaël Braun-Pivet sur Richard Ferrand et son incapacité supposée à incarner « le renouvellement », des dizaines de députés LREM ont passé le weekend à enchaîner les tweets de soutien aux candidats. Le risque que des chapelles rivales prennent l’habitude de ferrailler en public en effraie plus d’un.
« J’invite chacun à se parler et à avoir une logique d’équipe si personne ne s’impose de lui-même », implore un député. L’urgence est de définir les règles du jeu. Le bureau du groupe LREM, composé des vice-présidents, porte-parole, et chefs de file de chaque commission, doit se réunir ce mardi 11 septembre en tout début de matinée. Il ne s’agit pas seulement de fixer la date de l’élection interne, prévue sauf surprise le 18 septembre. Le diable se cache dans les détails. Faut-il en profiter pour renouveler l’ensemble de l’équipe dirigeante, ou seulement nommer un successeur à Richard Ferrand ?
« L’an dernier, Richard Ferrand est arrivé avec la liste de ses vice-présidents et de ses porte-parole, observe Thomas Mesnier. Cela fait sens de changer les têtes, et que la personne élue puisse s’appuyer sur les personnes qu’elle aura choisies. » « Je ne pense pas qu’il faille élire un nouveau bureau tous les ans, estime au contraire un proche de Richard Ferrand. Le principe adopté en juin 2017 était de remettre en jeu les responsabilités à la mi-mandat, fin 2019 ».
Un ticket homme-femme ?
En l’absence d’un candidat capable de faire l’unanimité, les plans B se bousculent. « Si une personne y va toute seule, elle sera forcément accusée d’illégitimité, anticipe Jean-Baptiste Moreau. C’est pour cela qu’il faut une équipe. » L’idée d’un binôme ou d’une équipe collégiale fait son chemin. « On pourrait tous s’entendre sur une liste, renchérit Sacha Houlié. Il ne faut pas se sentir cadenassé dans un moule. » Quitte à faire évoluer en urgence les statuts du groupe.
Autre solution, des députés évoquent un ticket homme-femme, à l’image de celui composé par Barbara Pompili et François de Rugy à la tête du groupe écologiste en 2012. Cela aurait l’avantage de désamorcer une polémique embarrassante sur l’incapacité de la Macronie à porter des femmes aux avant-postes. Ce serait aussi l’occasion d’allier un profil gestionnaire avec un acolyte plus à l’aise dans l’arène politique. « Un manager et un bretteur », selon l’expression d’un membre de la commission des Lois.
La piste d’une succession collégiale, organisée en coulisses, ne fait pas l’unanimité. « Si c’est pour prendre les vingt députés qui passent à la télé, ce n’est pas sérieux, prévient le député du Cher François Cormier-Bouligeon. Je ne suis pas prêt à ce qu’on me donne des solutions toutes prêtes. Après un an de quinquennat, je ne suis plus prêt à faire une confiance aveugle. »
Silence des favoris
L’après-Ferrand reste pour certains l’occasion de changer la donne dans la majorité. « Le prochain président doit être une personnalité d’équilibre entre l’exécutif et les députés, et non le porte-parole de l’exécutif », poursuit François Cormier-Bouligeon. Proche de Nicolas Hulot, Matthieu Orphelin s’apprête à envoyer une note à ses collègues députés pour leur proposer une nouvelle méthode de gouvernance, avec des prises de décision plus collectives « qui prennent mieux en compte la biodiversité du groupe. »
Les candidats tentés de se lancer à l’assaut de la présidence sont face à un dilemme. Alors qu’ils n’ont qu’une petite semaine pour faire campagne, le moindre mouvement trop précipité risque de leur être fatal. « Je ne veux pas que quelqu’un dise : ‘Je veux peser politiquement, donc je veux la présidence du groupe' », prévient le député de l’Isère, Olivier Véran.
Souvent cités parmi les favoris, Laetitia Avia, Aurore Bergé, Gilles Le Gendre, Roland Lescure, Amélie de Montchalin et Hugues Renson laissent leur nom circuler sans indiquer leurs intentions. « Si je me présente, ce sera en équipe », promet l’un d’eux. D’autres pourraient s’inviter dans la course. « Chacun des 310 députés du groupe est légitime », lâche un élu peu connu du grand public mais très intéressé par le poste.