«Je n’imaginais pas à quel point la Creuse manquait de vision stratégique de son développement ». C’est dit sans gants, mais c’est dit. Arrivée depuis quelques semaines, Magali Debatte, la nouvelle préfète de la Creuse, va répéter ce message tout l’été et au-delà. À destination des élus.
Car, même si elle ne le dit pas aussi franchement, c’est bien à eux que le reproche s’adresse.
Ma fibre, mon bourg, ma classe…
C’est après avoir rencontré des maires et des présidents d’intercommunalités qu’elle a tiré ce constat de carence : « Chacun m’a parlé de “sa” fibre, de “son” centre-bourg, de “sa” classe… Chaque commune ne se préoccupe que de son bourg – qui n’est parfois qu’un hameau de quelques maisons – sans se soucier de celui du voisin et sans vue d’ensemble du territoire. Cette vision, on ne la retrouve pas plus au niveau de la plupart des Com-com ».
L’élément le plus révélateur pour elle, c’est qu’à peine 15 % des municipalités creusoises se sont équipées d’un document d’urbanisme quand, ailleurs, la majorité a cet outil depuis longtemps. Mais ce n’est pas tout… Que ce soit pour les ordures ménagères ou l’offre scolaire, les équipements sportifs, les transports ou les assainissements… pas de réflexion générale, pas d’ambition partagée.
‘Chacun m’a parlé de “sa” fibre, de “son” centre-bourg, de “sa” classe… Chaque commune ne se préoccupe que de son bourg – qui n’est parfois qu’un hameau de quelques maisons – sans se soucier de celui du voisin et sans vue d’ensemble du territoire’.
Au niveau des intercommunalités, ces documents qui prennent la forme d’un Schéma de cohérence territoriale (Scot) annonçant les priorités et les investissements dans les compétences retenues, font aussi cruellement défaut…
Créer un « choc »
Cette situation, Magali Debatte la constate… pour la changer. Comment ? En créant un « choc » auprès des élus de la Creuse. Choc dans le discours, beaucoup moins feutré que ses prédécesseurs : « Je vais rencontrer les élus, leur expliquer », annonce-t-elle. Choc, dans les actes avec un premier levier : le Plan particulier pour la Creuse (PPC). Le “plan Marshall” lancé par Emmanuel Macron pour le département ressemble de moins en moins à une liste de Noël et toujours plus à un contrat : oui à vos projets à condition qu’ils soient structurants, qu’ils participent à un développement global du territoire. « Trois kilomètres de goudron, est-ce plus structurant qu’une maison de santé ? », illustre Magali Debatte.
» On n’est pas dans Good-Bye Lenine, on doit faire certaines choses contre la tendance naturelle à ne rien toucher. Pour ça, je suis prête à mon serment de Koufra ».
MAGALI DEBATTE (Préfète de la Creuse )
Voilà que la saupoudreuse à dotations s’éloigne toujours plus tandis que se rapproche l’obligation à s’entendre entre Creusois sur ce qui est prioritaire ou non.
Et ça va aller vite. Dès la rentrée, l’État va revoir son règlement pour attribuer les dotations, notamment celle pour l’équipement des territoires ruraux (DETR) richement dotée pour la Creuse de 16 millions d’euros.
Ainsi, les Com-com qui ne mettront pas de Scot en chantier risquent d’avoir quelques déceptions. « Nous serons là pour accompagner, rassure la préfète. Pour donner les moyens et le temps et montrer la voie. Ainsi, pour les Scot, l’Agglo du Grand-Guéret a pris de l’avance et pourrait être la locomotive des autres territoires creusois. »
Mais, cette dynamique structurante, n’est-ce pas à l’échelle du département qu’elle devrait être lancée ? Si Magali Debatte reconnaît à la présidente du Département, Valérie Simonet, une « vraie vision » que d’autres n’ont pas, elle rappelle « que le Conseil départemental n’a pas cette compétence ».
En revanche, les sept intercommunalités l’ont. Et c’est bien vers elles et les maires que la préfète va diriger son « choc ». En incitant les unes à activer les compétences qu’elles ont en sommeil et en acquérir de nouvelles et, les autres, à réfléchir à de nouvelles fusions de communes. Aux moyens de mutualiser, aussi, afin de « polariser » enfin cette Creuse dont les chefs-lieux sont au milieu de rien et dont la ville préfecture voit la richesse du territoire profiter aux départements voisins.
Serment de Koufra
Pour la préfète, c’est plus qu’une nécessité « dans un territoire dont 75 % des communes ont moins de 500 habitants, comment voulez-vous qu’on s’en sorte sans avoir une vision commune et partagée ? On n’est pas dans Good-Bye Lenine (1), on doit faire certaines choses contre la tendance naturelle à ne rien toucher. Pour ça, je suis prête à mon serment de Koufra (2) ». Prêts pour le choc…
Eric Donzé
(1) Film allemand dans lequel un fils fait croire à sa mère sortie du coma que la RDA existe toujours alors que le mur de Berlin est tombé.
(2) Serment que le Maréchal Leclerc noua dans l’oasis de Koufra en 1941 de continuer le combat jusqu’à ce que le drapeau français flotte de nouveau sur la cathédrale de Strasbourg.